Hymnes à l'amour

De lourdes  tentures de velours rouge, un piano emmailloté mais pas bridé pour autant, des petites lumières qui ourlent chaque élément du décor comme des rangs de perles fines… un boudoir, un cabinet de cocottes, un cabaret, l’antichambre d’une maison close ? Un écrin ultra féminin en tout cas, où une heure durant,  Isabelle Loiseau, pianiste-interprète,  et Isabelle Gazonnois, comédienne-chanteuse, vont évoluer vêtues de dessus chics et rouges évidemment ! L’amour fou, l’amour vache, l’amour physique, l’amour passion, l’amour déçu, l’amour infidèle,  l’amour à trois, l’amour qui s’en va… mais aussi les amours ancillaires, les amours solitaires, les amours défuntes … Isabelle Loiseau et Isabelle Gazonnois explorent le sentiment à travers la chanson française du siècle dernier. Les deux artistes ont concocté un répertoire éclectique auquel figurent quelques tubes comme  Les palétuviers  de Pauline Carton ou J’aurai ta peau Léon  de Jeanne Moreau ou encore  La parisienne  de Marie-Paule Belle, pour ne citer que ceux-là. Mais les deux chanteuses ont aussi exhumé des titres plus rares.  A commencer par Monsieur Le petit le chasseur un petit bijou drolatique des Frères Jacques interprété avec jubilation par les duettistes.  Dans la même veine,  Le mari de Maryvonne d’Anne Sylvestre un titre léger qui bien avant l’heure, une fois n’est pas coutume, instrumentalise l’homme en benêt de ces dames. Un régal ! Dans un autre registre, Tous les amis de Monsieur une chanson de Barbara  douce amère à caractère social qui rappelle l’univers feutré de La dentellière et autre soubrette. Plus noire la chanson, Quand on vous aime comme ça d’Yvette Guilbert évoque l’amour qui fait mal et une réalité toujours d’actualité. Encore plus noir, Le Tango stupéfiant de Marie Dubas, qu’on pourrait qualifier de chanson à l’estomac pour plagier Julien Gracq et sa littérature à l’estomac, est d’une force ahurissante  pour l’époque – la chanson date de 1936 – et vous cloue littéralement sur votre fauteuil.

Dans ce programme, une mention particulière pour Les nuits d’une demoiselle, une chanson grivoise au texte imagé oh combien difficile de Colette Renard – reprise  tout récemment d’ailleurs par Clotilde Courau sur la scène du Crazy Horse- interprétée presque « slamée »  par Isabelle Loiseau qui fait preuve ici d’une diction parfaite. Isabelle Gazonnois n’est pas en reste qui chante et incarne magistralement La côtelette, encore un joyau à l’adresse d’Adam, extraite de l’album « 17 chansons décadentes et fantasmagoriques » de Brigitte Fontaine. La liste est encore longue, et on l’aura compris, Isabelle Loiseau et Isabelle Gazonnois alternent chansonnettes et ballades tristes avec un parti pris déclaré, assumé, (revendiqué ?) : celui de la femme !

En duo ou en solo, mais toujours très complices, les deux artistes enchaînent les titres et leur donnent une couleur particulière  selon leur tempérament respectif. Elles revisitent également ces chansons à texte, dont certaines archi-connues, et proposent une lecture très moderne et très raffinée – c’est la grande force du spectacle –  sans jamais  céder aux sirènes de  la variété  rétro en vogue aujourd’hui. Bien au contraire, elles livrent une interprétation épurée,  toute en retenue qui laisse la part belle aux mots.  Du coup, le spectateur tend l’oreille pour recueillir le sens des ritournelles.   Isabelle Loiseau et Isabelle Gazonnois entrainent  leur auditoire sur tous les chemins empruntés par l’amour avec des détours tortueux, scabreux voire dangereux.  Mais n’est-ce pas le propre de l’Amour? Anne-Juliette Brugière